Au cœur des maraudes de l'Ordre de Malte à Annecy

Publié le par Peggy Martin

La gare à Annecy, il fait froid, il neige et avec dignité et respect les SDF demandent un peu de réconfort

La gare à Annecy, il fait froid, il neige et avec dignité et respect les SDF demandent un peu de réconfort

les étoiles sont ma maison, je suis un sans abri

Les flocons tombent sur cette nuit froide. Il fait -1°. Etre et ne pas paraître. Pour se faire, on me propose d'enfiler une polaire et une veste rouge et jaune avec des liserés réfléchissants avec la croix de l'Ordre de Malte placardée au milieu du dos. Oublie ce que je suis un instant pour être au cœur de leur histoire, celle des maraudeurs de l'Ordre de Malte France. Je pars avec l'équipe d'Alain qui en est le chef, Josiane, et François (dit Père Noël). Ils offrent un soutien alimentaire, une écoute et un réconfort aux S.D.F d'Annecy. Alain nous explique que les chefs d'équipe tournent deux fois plus souvent que les maraudeurs, à raison de cinq à six fois par mois du 1er novembre au 31 mars. Il récupère le camion de l'Ordre de Malte chez les pompiers, puis part chercher de l'eau chaude au foyer des Capucins et s'installe place Notre Dame pour délivrer les premières soupes. Il est 19h.

 

En contact avec le 115

 

Les équipes sont en relation avec des commerçants qui offrent les invendus en pains et viennoiseries et un restaurant prépare chaque lundi soir une soupe pour les S.D.F. Ils ont un planning bien défini avec des fourchettes d'heures à respecter. « Difficile de dire combien de points de ralliement, c'est de la maraude on connaît les endroits, on essaie de trouver les gens car certains se cachent, se protègent. En début de maraude, le 115 nous appelle pour nous prévenir s'il y a des choses spécifiques. Mais nous sommes en permanence en liaison avec eux. » déclare Alain bénévole depuis 3 ans.

 

La maraude une famille

Nous nous dirigeons vers la gare. Alain se gare à l'endroit habituel. Dehors, dans le froid un groupe de jeunes attend avec impatience notre arrivée. Nous descendons du véhicule excepté François qui garde le camion et nous nous dirigeons vers le petit groupe. Impossible de leur donner un âge. Des poignets de mains et nous les femmes avons le droit aux embrassades comme si nous faisions parties de leur famille. Chacun nous raconte les dernières nouvelles : ce qu'ils ont mangé, la gestion du froid, l'endroit où, ce soir, ils se blottiront pour dormir. Certains seront dans la rue ou à l'abri sous un porche. D'autres iront squatter dans des bâtiments à l'abandon. Leurs histoires prennent aux tripes et je dois maîtriser les émotions qui me piquent les narines et qui me chatouillent les yeux. Ils nous confient qu'ils sont les malvenus dans tous lieux publics.

 

La maraude, le partage

Nous leur proposons de venir prendre une soupe et un morceau de pain. Une jeune femme se confie. « Ca fait deux ans que je suis dans la rue avec ma famille. Un jour tout bascule. Du jour au lendemain je me suis retrouvée à la rue, sans rien du tout. Je viens de retrouver un emploi. J'adore lire. Ces temps-ci je lis environ 8h par jour, j'aimerais devenir bibliothécaire. » annonce t-elle avec un large sourire. Je la regarde et lui souris et j'ouvre mes bras dans lesquels elle vient se blottir dans les yeux chargés d'émotion. J'accompagne sa tête sur mon épaule. Puis d'un coup je sens ses épaules se relâcher, elle est bien et pour moi ce petit bout de réconfort que j'offre me procure également une sensation de bien-être. Très vite la réalité du froid nous fait reprendre nos esprits. Elle se dégage et nous reprenons notre conversation sur sa famille. Elle est composée de ses deux chiens et son petit ami. Ils prennent un café avec du sucre. Ils demandent une paire de chaussettes et un bonnet à Père Noël. Père Noël porte bien son nom avec sa corpulence, sa belle barbe blanche, sa sagesse et ses yeux rieurs. Ses paroles sont réconfortantes et ses gestes bienveillants envers ceux qui lui demandent quelque chose.

 

Une phrase choc

20h. Tous refusent de prendre du pain ou une soupe. « Nous avons bien mangé ce soir nous sommes allés manger aux Restos du cœur. Garde le pain et la soupe pour plus malheureux que nous. » déclare le leader de la bande. Je me réfugie sous mon anorak trop grand et descends mon bonnet très bas remonte mon écharpe afin qu'ils ne voient pas l'émotion me subjuguer. Ils échangent des mots, des sourires et nous remercie chaleureusement. Ils nous souhaitent une bonne année et une bonne santé et nous demandent de prendre soin de nous. Nous repartons, je suis bouleversée. Mais Alain et Josiane sont là pour me faire rire et me réconforter.

 

20 h 30. Alain reçoit un appel du 115. Une femme seule se trouve vers la vieille ville. Nous repartons. Sur les lieux, nous retrouvons cette dame en haillons, les cheveux en bataille. Nous sommes déjà trempés et nous avons froid mais elle, elle nous regarde avec ses yeux délavés et sa voix douce qui donnent envie de pleurer. Elle refuse tout : soupe, pain, bonnet, couverture le tout avec beaucoup de politesse, assure que tout va bien et qu'il ne faut pas s’inquiéter pour elle. Je respecte mes collègues et leur décision mais j'ai une folle envie d' hurler. Nous repartons mais dans le camion j'exprime mon désaccord sous forme de questions. Josiane m'explique que nous devons respecter leur décision, que nous ne devons rien leur imposer. C'est très dur.

 

Le lien social

Nous repartons vers un autre lieu un peu excentré et nous rencontrons un autre habitué un peu excentrique. Tout en prenant une soupe, il se confie également avec humour sur sa situation. Il fabule un peu, il parle pour parler, il invente une histoire pour nous faire sourire. « Nous sommes souvent le seul lien social qu'ils ont dans une journée. Certains fabulent mais ils sont heureux qu'on les écoute. Il y a des soirées qui sont plus chaudes. Lorsqu'ils ont bu ou sont sous autre emprise. Nous devons alors nous faire discrets, nous repartons dans ces cas là car ce n'est pas de notre ressort. » déclare Josiane en remontant dans le véhicule.

Dernière étape de notre parcours le foyer St François où nous allons offrir du pain et des viennoiseries.

 

Devenir bénévole à l' OMF*

Alain nous dévoile enfin pourquoi il est devenu bénévoles à l'Ordre de Malte France : «Les bénévoles donnent de leur temps pour soutenir une belle cause. C'est de la solidarité en aidant son prochain. Ca fait du bien d'aider les gens démunis, des gens qui sont dans le besoin. Pourquoi s'en priver lorsque ça nous fait du bien au plus profond de nous.»

 

 

En cette soirée pleine d'humanité et d'humilité nous avons compris la signification des crédos de l'Ordre de Malte « une force au service du plus faible » et « notre force vient de notre coeur ». Une expérience comme celle-ci permet de relativiser et de faire rejaillir ce qui est enfoui au plus profond de nous : ce brin d'humanité altruiste trop souvent oublié dans notre société nombriliste.

 

 

Repères :

 

quelques chiffres :

115 numéro d'urgence sociale gratuit et anonyme

maraude de l'Ordre de Malte France de 18h à 22h

maraudes mixtes obligatoires

du 1er novembre au 31 mars

entre 15 et 30 personnes aidées chaque soir

3 commerçants alimentaires sur Annecy donnent les invendus

Repas gratuit tous les jeudis soirs à la Croix Rouge

 

*OMF : Ordre de Malte France

Publié dans Anecdotes de vie

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